Place de l'adjectif qualificatif
Même si on peut formuler le constat qu’en français, tout adjectif qualificatif peut se placer devant ou derrière le nom qu’il détermine, la règle de base à retenir est que la place par défaut de l’adjectif qualificatif français est derrière le nom qu’il détermine :
une voiture rouge une maison familiale un chien hargneux
Une fois assimilée cette règle de base, la problématique de la place de l’adjectif qualificatif français se ramène essentiellement à une double question : qu’est-ce qui peut encourager l’adjectif à se placer devant le nom ? qu’est-ce qui peut décourager l’adjectif de se placer devant le nom ?
Facteurs favorables et défavorables à l’antéposition
La place devant le nom étant occupée préférentiellement par les déterminants porteurs d’informations quantitatives, les adjectifs qualificatifs dont le sens présente des affinités avec les notions de quantité, de rang, de nombre… tendront à s’antéposer plus aisément que les autres :
une grande voiture la dernière fois une double porte
A contrario, les adjectifs dont le sens est le plus éloigné de ces mêmes notions, comme les adjectifs de couleur ou les adjectifs formés sur des verbes ou des noms, seront plus réfractaires à l’antéposition :
une plante verte un panier rempli une carte routière
Sur un autre plan, l’antéposition de l’adjectif qualificatif peut être freinée, voire bloquée, par la présence d’une extension de l’adjectif sous la forme d’un complément prépositionnel :
un enfant souriant ~ un souriant enfant un enfant souriant de toutes ses dents ><un souriant de toutes ses dents enfant
ou sous celle d’une structure comparative :
une idée lumineuse ~ une lumineuse idée une idée lumineuse comme le soleil en plein jour ><une lumineuse comme le soleil en plein jour idée
Les effets de sens liés à l’antéposition de l’adjectif
De même que la place par défaut de l’adjectif qualificatif est la place derrière le nom qu’il détermine, de même le sens par défaut de l’adjectif qualificatif est le sens qu’il véhicule lorsqu’il est derrière le nom. L’antéposition confère en effet à l’adjectif un sens différent de celui qu’il a lorsqu’il est postposé, le rendant plus proche, par le sens comme par la place, des déterminants quantificateurs.
L’examen de deux couples d’exemples va nous éclairer sur ce point.
• Voici le premier couple d’exemples :
une famille nombreuse >< une nombreuse famille
Une famille nombreuse est une famille composée d’un nombre de membres supérieur à une moyenne communément admise, voire à une limite expressément fixée (par exemple, les cartes de « famille nombreuse » accordées aux familles belges comptant au moins trois enfants) ; postposé, l’adjectif nombreuse nous donne une information quasiment technique. Rien de tel cependant quand le même adjectif est antéposé. Une nombreuse famille est une famille dont le nombre de membres est tel qu’on ne cherche pas à le préciser. C’est la raison pour laquelle on ne dira pas en français :
? Charles emmène sa famille nombreuse en vacances à la montagne.
La technicité de l’information véhiculée par l’adjectif nombreuse postposé est peu pertinente dans le contexte d’un départ familial en vacances. On préférera dans ce cas dire tout simplement :
Charles emmène sa famille en vacances à la montagne.
En revanche, on pourra dire, avec le même adjectif antéposé :
Charles emmène sa nombreuse famille en vacances à la montagne.
s’il s’agit d’exprimer l’idée que Charles emmène tous les membres de sa famille en vacances et que cela représente un nombre élevé de personnes (« ça fait beaucoup de monde ! »).
• Voici le second couple d’exemples :
un panier plein de cerises >< un plein panier de cerises
Un panier plein de cerises est un panier dont le contenu, les cerises, sature le contenant, le panier. Un plein panier de cerises est une quantité de cerises que l’on mesure à l’aune d’un panier. C’est la raison pour laquelle on dira :
Julie a mangé un plein panier de cerises
mais on ne dira pas
Julie a mangé un panier plein de cerises
Plein, antéposé, ramène le panier à un indicateur de quantité, disqualifiant le contenant panier en faveur du contenu cerises ; cerises constitue dès lors le noyau de l’objet du verbe a mangé et la phrase est perçue comme correcte. En revanche, plein, postposé, donne une information sur le contenu, sans disqualifier le contenant ; le noyau de l’objet reste panier, incompatible avec le verbe a mangé, d’où la bizarrerie de la phrase Julie a mangé un panier plein de cerises, qui prête à Julie de curieuses habitudes alimentaires.
Les exemples de ce type sont nombreux :
la fois dernière >< la dernière fois des blessures multiples >< de multiples blessures une femme bonne >< une bonne femme
Il faut donc retenir qu’en français un même adjectif n’a pas le même sens selon qu’il est devant le nom ou derrière le nom et que l’antéposition de l’adjectif l’éloigne toujours de son sens de base.